L’abus de confiance peut désormais porter sur un immeuble selon la Haute Cour
Aux termes d’un arrêt en date du 13 mars 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence et a considéré que le délit d’abus de confiance pouvait désormais porter sur un immeuble (Crim. 13 mars 2024, n°22-83.689).
La solution peut paraître surprenante dans la mesure où ce délit ne porte en principe que sur des fonds, valeur ou un bien quelconque remis à titre précaire, sans transfert de la propriété donc, à charge pour celui qui les reçoit d’en faire un usage déterminé.
La définition légale de l'abus de confiance est en effet la suivante : il s’agit du fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter, ou d'en faire un usage déterminé.
La motivation de cet arrêt est particulièrement intéressante dans la mesure où la Haute Cour y fait preuve de pédagogie afin de motiver son revirement.
Elle précise ainsi que sa jurisprudence antérieure (Crim., 10 octobre 2001, n° 00-87.605) a suscité des controverses doctrinales qui justifient un nouvel examen.
Il est d’abord faire référence aux travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption du nouveau Code pénal dont il ressort que la notion de bien quelconque doit s'entendre de tout bien, meuble ou immeuble.
La jurisprudence a ensuite précisé que ces biens peuvent concerner les biens incorporels ou immatériels tels que le numéro de carte bancaire, la connexion internet mise à disposition des salariés au titre de leur activité professionnelle ou encore le temps de travail de salariés utilisé à des fins autres que celles pour lesquelles ils perçoivent une rémunération.
La chambre criminelle relève ensuite que le législateur a recouru à cette même notion dans la définition de l'escroquerie, ce qui a amené la chambre criminelle à considérer que ce délit pouvait concerner au sens du nouveau code pénal un immeuble (Crim., 28 septembre 2016, n°15-84.485). Cette décision s'inscrit dans le prolongement d'une jurisprudence antérieure et ancienne admettant, en dépit du principe d'exclusion des immeubles, que le délit peut porter indirectement sur un tel bien, soit que la remise concerne son prix dont la valeur a été surestimée en raison des manœuvres frauduleuses, soit qu'elle porte sur des titres de propriété ou de constitution des droits réels s'y rapportant.
Enfin, l'acte de détournement, constitutif de l'infraction d'abus de confiance, peut résulter d'une utilisation du bien à des fins étrangères à celles qui avaient été convenues, lorsque cet usage implique la volonté du possesseur de se comporter, même momentanément, comme le propriétaire du bien (Crim., 13 février 1984, n° 82-94.484).
Il en résulte selon la Haute Cour qu'il convient désormais de juger que l'abus de confiance peut porter sur un bien quelconque en ce compris un immeuble.
Dans cette espèce, la chambre criminelle a ainsi considéré que s'analyse en un détournement entrant dans le champ de ces dispositions légales, l'usage abusif de l'immeuble portant atteinte de façon irrémédiable à son utilité et traduisant la volonté manifeste de l'auteur de se comporter, même momentanément, comme un propriétaire.
En l'espèce, il était reproché à des dirigeants et des personnes morales d’avoir détourné l’usage de sites d’enfouissement de déchets appartenant à des collectivités locales en y transférant sans autorisation des déchets extérieurs, non issus de ces collectivités locales.
Ainsi, une très grande partie des déchets issus des rejets de centres de tri provenait d'apporteurs extérieurs aux collectivités concernées, de sorte qu'une large partie des recettes encaissées par les prévenus l'a été au titre d'une activité non autorisée par le marché et par les arrêtés d'exploitation.
La Haute Cour approuve ainsi les juges du fond d’avoir considéré qu'en organisant de manière systématique pour le compte ces personnes, et à leur seul bénéfice, une exploitation privative du site et en formalisant des accords avec des apporteurs de déchets dont l'origine indéterminée était manifestement extérieure aux collectivités territoriales concernées, qui en supportaient la charge financière, les prévenus se sont comportés comme les propriétaires des terrains et des infrastructures du site alors qu’ils n'étaient que des prestataires.
Par ailleurs, il est intéressant de constater qu’afin d’appliquer cette nouvelle solution au cas d’espèce, la chambre criminelle a procédé à une appréciation rigoureuse voire sévère des conditions du principe de non-rétroactivité de la loi pénale.
Les demandeurs au pouvoir soutenaient en effet que ce revirement de jurisprudence était contraire à un tel principe consacré notamment par les dispositions de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.
La Haute Cour leur répond que le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle à la condition qu'elle ne soit pas imprévisible.
Or selon elle, les demandeurs avaient la possibilité de s'entourer de conseils appropriés et, de surcroît, étaient des professionnels habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur activité, notamment dans l'évaluation des risques qu'elle comporte.
Ils ne sauraient invoquer le droit à une jurisprudence figée interdisant d'étendre le champ d'application de l'article 314-1 du Code pénal au détournement d'un immeuble, la Cour de cassation s'étant, par plusieurs arrêts antérieurs aux faits poursuivis, engagée dans le sens d'un élargissement de la conception de l'objet détourné.
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