Les conséquences procédurales de l’absence de la victime au procès pénal
Aux termes d’un arrêt en date du 4 avril 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte une précision essentielle s’agissant des conséquences procédurales de l’absence de la partie civile au procès pénal (Crim. 4 avril 2024, n°22-80.417).
Dans cette affaire, le prévenu avait été condamné pour agression sexuelle aggravée, en l'absence de la partie civile.
Les juges avaient retenu, après avoir constaté que les poursuites avaient été engagées à la suite des dénonciations d’une femme alors que le prévenu contestait les faits, ont retenu que la confrontation entre les parties avait été empêchée par la très grande peur manifestée par la plaignante.
Or le prévenu n'avait jamais été confronté à la plaignante au cours de l’enquête.
Celle-ci n'avait pas davantage comparu devant les juridictions de jugement, y compris devant la cour d'appel alors qu'elle avait été citée par la défense. Constituée partie civile, elle avait été représentée à l'audience de la cour d'appel par un avocat, qui, pour expliquer le défaut de comparution à l'audience de sa cliente, avait fait état de son lourd handicap et du traumatisme causé par les faits. Cependant, aucun document médical n'avait été produit, ni demandé par les juges, afin de justifier cet empêchement de comparaître.
La Haute juridiction relève que les juges du fond n'ont pas ordonné la comparution personnelle de la plaignante à l'audience, y compris par un moyen de télécommunication audiovisuelle sur le fondement des dispositions de l'article 706-71, alinéa 3, du code de procédure pénale, alors qu'ils disposaient de cette faculté sans pour autant user de la contrainte.
Il leur est également reproché de ne pas avoir ordonné une expertise destinée à vérifier si la comparution de la partie civile, à l'audience ou en visioconférence, se heurtait à un obstacle insurmontable.
Ainsi, si la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le moyen de cassation présenté par le prévenu et consistant à soutenir que les juges du fond auraient dû ordonner la comparution forcée de la partie civile, elle prononce une cassation sur le fondement du respect des droits de la défense.
Ainsi, après avoir rappelé qu’aucune disposition du code de procédure pénale ne permet de contraindre la partie civile à comparaître devant la juridiction correctionnelle, la Haute Cour se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour considérer que les juges doivent procéder à « un contrôle minutieux des raisons données pour justifier l'incapacité du témoin à assister au procès (…) en tenant compte de la situation particulière de l'intéressé ».
S'agissant particulièrement de la personne se déclarant victime d'infractions sexuelles et invoquant la peur d'assister au procès, le juge doit notamment vérifier si toutes les autres possibilités, telles que l'anonymat ou d'autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en œuvre (CEDH, arrêt du 27 février 2014, Lucic c. Croatie, n° 5699/11, § 75).
Elle en déduit qu'au regard des déclarations incriminantes du plaignant et à défaut de confrontation, durant l'enquête, entre la partie civile et le prévenu, il appartient aux juges, d'une part, de mettre en œuvre les moyens procéduraux à leur disposition pour tenter d'assurer la comparution de la partie civile à l'audience, afin de permettre à la défense, qui en avait manifesté la volonté, de l'interroger, d'autre part, de vérifier si l'absence de la partie civile était justifiée par une excuse légitime.
Or en l’espèce tel n’était pas le cas.
Il en résulte que les plaignantes devront porter et soutenir leur dénonciation jusqu’au procès et qu’une confrontation avec leur agresseur est ainsi exigée soit au stade de l’enquête, soit au stade du procès.
La crainte des conséquences pour elle d’une telle confrontation ne pourra à elle seule justifier de l’absence de la plaignante sauf à en justifier par un certificat médical circonstancié.
Qui plus est, les juges devront vérifier que toutes les autres possibilités, telles que l'anonymat ou d'autres mesures spéciales, étaient inadaptées ou impossibles à mettre en œuvre avant d’accepter de ne pas faire comparaître la partie civile qui invoque sa peur d'assister au procès.
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